L’impact environnemental des livres électroniques et des liseuses

Récemment, Natasha du blog Echos Verts partageait son amour des livres papier et les raisons pour lesquelles elle n’utilisait pas de liseuse. Suite au débat qu’elle a suscité malgré elle, j’ai voulu m’intéresser à l’impact des livres électroniques et des liseuses sur l’environnement. J’ai donc repris ma blouse de chercheure pour vous proposer une revue (certes succincte) de la littérature scientifique sur ce sujet.

Impact environnemental des e-books et des liseuses

La dématérialisation à travers les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (NTIC) semble être une solution pour réduire son impact écologique et diminuer sa consommation de papier, de CDs ou de DVDs. Doit-on mettre au rebut sa bibliothèque et les livres qu’elle contient et opter pour une des nombreuses liseuses qui sont apparues sur le marché du livre ces dernières années? Pour répondre à cette question je me suis basée sur les travaux de chercheurs de l’Université de Stockholm. Ils ont étudié l’impact environnemental des livres électroniques et des liseuses en utilisant la méthode d’Analyse du Cycle de Vie (ACV). Cette méthode est standardisée et permet d’évaluer les impacts d’un produit ou d’un service au cours de sa vie (extraction des matières premières, production, usage, mise au rebut).

Dans leur étude, Moberg et al. [1] ont comparé le même livre en format papier et en format électronique. L’e-book est produit en Suède, la liseuse est fabriquée en Chine, importée par bateau puis distribuée par camion, achetée et utilisée en Suède. Le livre papier est produit et acheté dans une librairie traditionnelle suédoise. Afin de comparer les deux formats, l’étude porte sur l’achat et la lecture d’un livre par une personne.

La production de la liseuse est la phase la plus impactante au niveau environnemental. Les circuits intégrés, les composants électroniques, la batterie sont très problématiques en termes de pollution des sols, d’eutrophisation, d’acidification ou de toxicité humaine notamment à cause de la présence de métaux (palladium, cuivre, or, aluminium). L’électricité utilisée lors de cette phase émet des gaz à effet de serre, responsable du réchauffement climatique. Si la phase de production de la liseuse est préoccupante, sa phase de destruction l’est tout autant. Il est nécessaire de s’assurer que son appareil sera correctement recyclé. Selon une étude suédoise citée par ces auteurs, de nombreux petits appareils électroniques ne sont jamais recyclés car entreposés à la maison.liseuse

Maintenant si l’on compare l’achat d’un livre électronique et d’un livre papier, l’e-book est préférable si on veut minimiser notre impact sur le changement climatique ou limiter les effets toxiques sur l’être humain par exemple. A contrario, il vaut mieux opter pour un livre papier si l’on veut limiter l’acidification des océans. Mais un livre électronique nécessite moins d’énergie qu’un livre papier pour sa fabrication. Cependant, il est nécessaire de lire beaucoup de livres sur sa liseuse pour que ce format devienne compétitif par rapport au livre papier. Pour la plupart des catégories étudiées dans l’ACV, il faut lire plus de 30 livres électroniques pendant la durée de vie de l’appareil pour que ce format devienne valable. Mais si on suppose que le livre papier est échangé une fois, ce chiffre monte à 70. A contrario, dans une autre étude, Moberg et al. ont également montré que la lecture d’un journal sous format électronique est moins impactante pour l’environnement que sous forme papier [2].

Vous l’avez compris, le problème se complexifie rapidement. Suivant les études, les conclusions ne sont pas aussi tranchées que l’on pourrait le penser à première vue. Les deux systèmes ont des avantages et des inconvénients. En général, une liseuse devient intéressante d’un point de vue environnemental si vous êtes un grand lecteur ou une grande lectrice. Elle peut d’ailleurs être aussi utilisée pour lire des magazines ou des journaux. Il faut également prolonger au maximum sa durée de vie et ne pas céder à la tentation de changer de liseuse quand le fabricant sort un nouveau modèle.

Enfin, Moberg et al. s’interroge sur la prise en compte des livres de poche, moins volumineux que les livres classiques ce qui avantagerait le livre papier. Utiliser une liseuse permet (en théorie) de libérer de l’espace donc d’opter pour un lieu de vie plus petit et moins gourmand en énergie. Mais les livres sont aussi un moyen de stocker le carbone. Ces dernières interrogations montrent que l’analyse du cycle de vie d’un produit n’est pas évidente et ce d’autant plus dans le monde des TICs. Ces analyses complexes et les hypothèses faites peuvent faire basculer l’étude d’un coté ou de l’autre [3]. Par exemple, les auteurs soulignent le manque de données sur l’encre électronique, les données de fabrication d’une liseuse (secret commercial) ou sur le recyclage des matériaux.

L’avantage d’une liseuse est le peu d’énergie utilisée en fonctionnement par rapport à un écran d’ordinateur ou de tablette. Cependant, pour optimiser l’usage de votre liseuse il faut l’utiliser au maximum et le plus longtemps possible. En résumé, la production et la fin de vie d’une liseuse sont les phases les plus impactantes d’une liseuse.

Quant à savoir si vous préférez lire des livres papier ou électroniques indépendamment de son impact environnemental, c’est une question personnelle. Les auteurs des différentes études sur les livres électroniques ou papiers restent très prudents sur leurs conclusions. Et je pense qu’on devrait suivre leur exemple. Si comme moi, vous possédez une liseuse, je vous invite à en prendre soin.

Sources :

[1] A. Moberg, C. Borggren, G. Finnveden, The International Journal of Life Cycle Assessment, 16, p 238-246, 2001

[2] A. Moberg, M. Johansson, G. Finnveden, A. Jonsson, Environnemental Impact Assessment Review, 30, p 177-191, 2010

[3] J. G. Bull, R. A. Kozak, Environnemental Impact Assessment Review, 45, p 10-18, 2014

2 réflexions sur « L’impact environnemental des livres électroniques et des liseuses »

  1. Emilie

    J’ai vraiment aimé ton investigation, un bon complément à l’article de Natasha !
    C’est intéressant, et interpellant, de voir qu’il existe encore pas mal de flou autour de certains aspects de la liseuse, notamment pour des secrets de fabrication. Néanmoins, comme tu le dis, le livre n’est pas sans impact non plus (papier, encres, recyclage etc). J’ai été vraiment choquée quand je suis tombée sur un article racontant la triste fin de milliers de livres invendus après le boum de la rentrée littéraire: tous bazardés, il faut faire de la place pour les nouveautés suivantes. Il y a sûrement un énorme gaspillage là-dedans aussi…
    Tout est question de juste milieu, même si pour moi la liseuse reste « non-durable » de par la présence de métaux rares difficile à recycler par après. Je vais d’ailleurs débuter un livre qui devrait t’intéresser: « L’âge des low-tech », de Philippe Bihouix. J’en parlerai sûrement sur le blog.

    1. la marmotte chuchote Auteur de l’article

      Merci Emilie pour ton compliment.
      Il est difficile d’évaluer les impacts des liseuses même pour des spécialistes. Le recyclage est toujours problématique et il faut en être conscient. Je pense que beaucoup de métaux sont gaspillés car non retraités. Il faudrait peut-être développer la recherche pour récupérer les quelques milligrammes d’or, de platine … et de la façon la moins nocive possible. Pour les livres de la rentrée, ils sont aussi victimes de la sur-consommation.
      Pour les low-tech, j’avais noté l’idée il y a plus de 6 mois et c’est marrant que tu m’en parles. Est-ce que cette idée se transformera en article? Je ne sais pas 😉

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