La face cachée de la tomate

La semaine dernière, je vous présentais ma culture de tomates dans mon jardin. Cependant, j’ai pendant longtemps acheté des tomates dans les supermarchés, hors saison et sans goût. Aujourd’hui je n’en suis pas très fière car j’ai découvert récemment la réalité de cette culture et toutes les conséquences environnementales et sociales qui en découle. La tomate est un bon exemple pour illustrer la dérive productiviste de l’agriculture intensive et le désir du consommateur d’avoir des fruits et des légumes parfaitement calibrés et sans défaut, disponible immédiatement, été comme hiver.

La tomate et les Français

Les Français ont pris l’habitude de manger des tomates toute l’année, à un prix dérisoire. En effet, nous raffolons de la tomate avec une consommation d’environ 13kg/an/hab pour les produits frais et 17 kg/an/hab pour les produits transformés (coulis, pulpe, sauce et ketchup, …). Nous somme près de 40% à déclarer en manger en hiver, importées d’Espagne ou du Maroc. Ces deux pays représentent 70% des importations. Il faut pourtant se rappeler que la saison de production de la tomate débute en juin pour finir en octobre. En 2014, la France a produit plus de 570 000 tonnes de tomates, essentiellement en région PACA et Bretagne. Ces tomates (françaises ou d’importation) vous les retrouverez en majorité dans les rayons des supermarchés.

Pour les produits transformés, la France est le 4ème importateur mondial (seulement 12% de notre consommation est couverte par la production nationale). Nos conserves et concentrés de tomates proviennent d’Italie (presque 50%) ou d’Espagne. L’Italie, loin devant l’Espagne et le Portugal, reste le premier pays d’Europe exportateur de tomates transformées. Retenez cette information, elle aura de l’importance par la suite.

Depuis quelques années, il n’est pas rare de lire ou d’entendre que les tomates n’ont plus de goût. Faut-il faire un lien avec la méthode de culture?

Pourquoi les tomates n’ont plus de goût?

Quand vous achetez vos tomates en supermarchés, en général (et c’était mon cas), elles n’ont aucun goût. Les tomates ont avant tout été sélectionnées pour leur conservation, leur texture, la résistance aux maladies et aux chocs … Mais le goût, personne n’y a pensé! Les tomates de la grande distribution sont cultivées sous serre, toute l’année. Elles sont cueillies avant maturité, doivent supporter le transport (l’Espagne, le Maroc c’est loin!) pour arriver bien rondes et fermes sur l’étal. De plus, l’éclairage permettra de « sublimer » la tomate la faisant apparaître plus rouge donc plus appétissante au consommateur.

Deux solutions s’offrent à vous pour retrouver le goût de la tomate :

  • faire confiance à la science et manipuler les gènes (par sélection ou croisement). Je rappelle qu’il n’y a pas de tomates OGM commercialisées en France.
  • revenir aux variétés anciennes, cueillir ses tomates à maturité et les déguster dans la foulée. En clair, je vous propose de ne plus acheter des tomates industrielles et hors saison. M’intéresser aux variétés anciennes m’a permis de découvrir que toutes les tomates ne sont pas rouges et rondes et que, par exemple, les tomates en grappes ne mûrissent pas toutes en même temps.

Tomato_slicesBy Scott Bauer, USDA ARS [Public domain], via Wikimedia Commons

Je n’ai pas encore mangé une tomate cette année. J’espère les avoir dans mon jardin en juillet. Autrement, les premières tomates que je mangerai seront probablement fournies par mon panier bio. Pour avoir des tomates en hiver, il faut soit les faire venir de loin (en camion) soit les faire pousser sous serres chauffées. Ces deux modes de culture ont une empreinte écologique énorme (transport routier ou consommation de fioul). De toute façon, l’hiver n’est pas la saison des tomates.

Le cas de la tomate espagnole

Si vous avez acheté des tomates hors saison, il est probable que ce soit une tomate espagnole, produite dans la région d’Almería, ville d’Andalousie au sud de l’Espagne. Cette région s’est spécialisée dans l’exportation de fruits et légumes (tomates, fraises, …) pour l’Europe du Nord en toute saison, été comme hiver. Ces tomates espagnoles sont cultivées sous serres, gavées de pesticides, d’engrais et épuisent les ressources en eau. La concentration de serres est tellement élevées que cette région est surnommée « la mer de plastique ». Pour vous en convaincre, cliquez ici. Ce que vous voyez est une vue satellite de El Ejido, située à l’ouest d’Almería. Toutes ces surfaces blanches sont des serres. Sous ces serres, vous trouverez la tomate qui s’étalera quelques semaines plus tard dans votre supermarché. Outre les dégâts sur le paysage, la pollution des sols et de l’eau est une autre conséquence de la culture intensive de la tomate. La région d’Almería est une région aride d’Espagne. Il ne tombe qu’environ 200 mm d’eau par an. La solution pour irriguer toutes ces plantations est d’exploiter les nappes phréatiques. La demande en eau est tellement forte qu’elles n’ont pas le temps de se reconstituer. De plus, ces dernières sont souvent polluées par les engrais et les pesticides utilisés. Ces mêmes pesticides que l’on retrouve sur les tomates lors de notre achat au supermarché. La culture de la tomate espagnole détruit le paysage, les sols, et pollue l’eau. Mais pour une question de coût (nous désirons toujours une tomate la plus belle et la moins chère possible), ces « usines à tomates » ont recours à une main d’œuvre bon marché. Les ouvriers agricoles, qui travaillent dans les serres, sont souvent des immigrés, payés 2 à 3€ de l’heure. Pour la moitié d’entre eux, ce sont des clandestins. Personnellement, j’ai du mal, aujourd’hui, à acheter des tomates à un prix défiant toute concurrence en sachant que j’ai participé à l’exploitation d’êtres humains et la destruction de la nature.448px-Lufa_Farms_Tomato_Rows

By Lula Farms (CC BY SA 2.0), via Wikimedia Commons

La tomate en conserve d’Italie

L’autre problème de la culture de la tomate, ce sont les subventions européennes, qui ont des conséquences dramatiques en Afrique. Le Ghana a toujours produit des tomates. La tomate est un ingrédient de base de la cuisine ghanéenne. Mais suite à la baisse des droits de douanes et aux subventions européennes accordées aux exploitants européens, le marché de la tomate fraîche s’est effondré au Ghana. La purée de tomate italienne est meilleur marché que la tomate locale. Les agriculteurs et agricultrices ghanéens sont ruinés. Ce principe économique (subventions, droits de douanes) a été encore plus dommageable pour les femmes. La culture de la tomate aurait été une opportunité pour elles. Revers de la médaille, les tomates italiennes sont bien souvent récoltées par des travailleurs ghanéens sans papiers et sous-payés. Ils ont abandonné leur exploitation, traversés le désert et la mer Méditerranée, pour effectuer le même travail que dans leur pays. Quelle ironie! Vous vous rappelez que la France importe la quasi totalité de ces tomates en conserve (coulis, purée, concentrée …) et que son premier fournisseur est l’Italie. Maintenant, quand je regarde ma boîte de concentré de tomate, je me demande si les tomates n’ont pas été ramassées par un travailleur exploité.

Le consommateur choisit de consommer des fruits et des légumes hors saison mais a-t-il toujours conscience des conséquences de son acte? Le cas de la tomate n’est pas isolée. J’aurais pu vous raconter la même histoire sur les fraises. La France n’est pas exempte de reproches. On cultive aussi des tomates sous serres chauffées dans notre beau pays. Alors comment choisir vos tomates? Préférer des tomates bio (vous éviterez les pesticides), cultivées en serres froides (vous limiterez les rejets de gaz à effet de serre) ou lancez-vous dans la culture de la tomate dans votre jardin ou sur votre balcon. Pour les tomates transformés, faites vos propres sauces tomate et conservez pour l’hiver ou trouvez un producteur en qui vous ayez confiance. Enfin, redécouvrez la saisonnalité des fruits et des légumes.

Faites-vous attention à la provenance de vos tomates et sauces tomates?

Pour en savoir plus :

Je suis une tomate d’Emilie Loreaux et Cécile Bourdais

El ejido, la loi du profit de Jawad Rhalib (2007)

The Dark Side of Italian Tomato, webdocumentaire, RFI

Terra Eco n° 44, La tomate italienne presse ses forçats africains, février 2013

Terra Eco, n° 61, Au Ghana, le champ désespéré de la tomate, octobre 2014

 

6 réflexions sur « La face cachée de la tomate »

  1. GreenerDaddy

    Bonjour
    Nous faisons attention et pas uniquement pour les tomates 😉
    Malheureusement, nous comprenons difficilement comment on peut payer plus cher des produits du terroir de saison que des produits industriels …
    Pour autant, cela ne change rien à notre démarche

    1. la marmotte chuchote Auteur de l’article

      Effectivement, difficile de comprendre certains écarts de prix mais les produits locaux, bio ou du jardin sont tellement meilleurs que les produits industriels.

    2. Laferrière

      Les produits industriels sont peu chers car cultivés en très grande quantité par une main d’oeuvre bon marché avec des variétés très productives mais sans gout et avec peu d’oligoélément (vitamines et minéraux)..
      Les produits du terroir sont produits par des paysans qui aspirent aux mêmes revenus que la moyenne des français et qui cultivent sur de petites surfaces avec des variétés moins productives mais de meilleure qualité gustative et nutritionnelle. Cela est donc plus cher.mais pour un produit de bien meilleure qualité.

  2. Annick Boidron

    Article bien intéressant. Heureusement, de plus en plus d’horticulteurs bio proposent leurs produits localement et on peut se procurer de très bonnes tomates… en saison. L’idéal est bien sûr de les faire pousser soi-même et en plus c’est amusant.

    1. Catherine [la marmotte chuchote] Auteur de l’article

      Acheter des tomates localement et de saison, c’est l’idéal et si en plus on peut en faire pousser, c’est encore mieux.

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